Dix questions pour Marjut Johansson, professeure de français à l’Université de Turku

11.09.2024

Marjut Johansson, professeure des universités au Département de français, répond à nos questions. Sa recherche est axée sur l’analyse des interactions et la linguistique socioculturelle. En ce moment, Johansson dirige l’Institut des sciences du langage et de la traductologie à la Faculté des lettres de l’Université de Turku. 

Pourquoi l’an 2024 est-il marquant pour le Département de français ?

Cette année marque le centenaire du premier cours scientifique de français, plus précisément de philologie romane, et le 75e anniversaire de la création de la chaire de philologie romane à l’Université de Turku. L’université de Turku a été fondée en 1920. Il n’y avait pas de professeur de langues vivantes à l’époque. En 1924, Emil Öhmann, chargé de conférences, a commencé l’enseignement de la philologie germanique et romane. Au début, l'accent était mis sur la recherche historico-philologique. Après la guerre, le premier professeur de philologie romane est nommé : Tauno Nurmela, qui deviendra plus tard recteur de l’Université de Turku.

Comment l’année sera-t-elle célébrée ?

Tout d'abord, nous célébrons au sein de notre communauté scientifique à la fin du mois d'août. Nous organisons à Turku le XXIIe Congrès des romanistes scandinaves. Des chercheurs de français, d'espagnol, d'italien, de portugais et de roumain se joindront à nous. Le vendredi 27 septembre, au sein de l’université, nous organiserons un séminaire et une soirée auxquels sont invités les étudiants, les alumni, la communauté académique et les amis du Département de français.

Quels sont les plus grands défis de l’enseignement et de l’apprentissage des langues aujourd’hui ?

L’enseignement des langues étrangères dans les écoles souffre de plusieurs obstacles structurels qui empêchent les élèves de choisir des langues étrangères facultatives. Il y a l’offre inégale de l’enseignement des langues dans les différentes régions de Finlande, l’exigence d’avoir des groupes avec un nombre de participants difficile à atteindre et le fait que les langues étrangères sont des matières facultatives, qui sont toujours en concurrence avec d’autres matières facultatives. Les langues étrangères font également souvent l’objet d’économies dans les communes. La Finlande ne dispose pas d’une stratégie d’enseignement des langues étrangères qui permettrait de supprimer ces obstacles et de créer un apprentissage durable.

Les étudiants qui commencent leurs études universitaires en français comme matière principale ont des niveaux de compétence très inégaux. L’étude du français a toujours été exigeante, mais beaucoup ont aujourd’hui des compétences de base faibles. Il faut faire un effort considérable pendant les études pour atteindre les compétences communicationnelles et professionnelles ainsi que l’expertise socioculturelle française et francophone.

Comment les développements technologiques ont-ils modifié l’enseignement et l’apprentissage des langues ?

Le progrès technologique est inséparable de l'apprentissage des langues, car il touche presque tous les aspects de notre vie aujourd’hui. Les développements technologiques sont présents de multiples façons, par exemple à travers l’utilisation de livres et d'applications numériques. Le projet de formation continue d’Outi Veivo, maître de conférences, explore l’apprentissage des langues étrangères par le biais de diverses applications d’intelligence artificielle. Lorsqu'elles sont fondées sur des principes pédagogiques, les solutions technologiques contribuent à l'apprentissage des langues.

Quel est l’avenir de l’apprentissage des langues en Finlande ?

We all learn perfectly English! L'anglais est omniprésent autour de nous. Les enfants et les jeunes l'apprennent de nombreuses façons dans leur vie quotidienne. L'enseignement du finnois aux immigrants devrait être plus efficace. La situation est encore bonne pour les langues étrangères, mais elle se détériorera si les problèmes dans les écoles ne sont pas résolus. Un plan stratégique est donc nécessaire pour assurer la continuité. J'espère vivement que le groupe de travail sur l'avenir de l'enseignement primaire et secondaire, qui a commencé sa planification cette année, se penchera également sur les langues étrangères. À l'université, les départements de langues étrangères, à part l’anglais, sont souvent assez petits et notre avenir devrait être pris en considération.

Qu’est-ce que la sécurité et résilience linguistique sociétale ?

Il s’agit du développement de la société et de la préparation aux crises. Le plan de préparation devrait contenir également la sécurité de l’information, à savoir comment nous obtenons de l’information fiable et comment nous l’interprétons. L’information est, le plus souvent, langagière. On doit se poser des questions : qui cherche l’information, quelles sont les sources utilisées, mais également dans quelles langues ?

Il faut des personnes qui aient des compétences linguistiques professionnelles dans des langues étrangères pertinentes pour nous, telles que l’allemand, le français, le russe et le chinois, et capables de produire et d’interpréter des informations. Si nous ne maîtrisons pas le russe et ne sommes pas en mesure de suivre ce qui se passe dans notre pays voisin, qui va nous fournir ces informations ? Si le nombre de personnes compétentes diminue, la sécurité linguistique sera menacée.

En France, la langue est étroitement surveillée par les institutions nationales. La Finlande devrait-elle suivre cet exemple ?

L’idéologie langagière du français repose sur une grande fierté de la langue et sur le désir de la protéger. En Finlande aussi, le statut et l’utilisation des langues nationales sont surveillés de près. Toutefois, les pratiques françaises ne peuvent pas être copiées chez nous, mais doivent être planifiées selon nos besoins.

Comment avez-vous commencé à vous intéresser au français ?

J’ai été influencée par un professeur important pendant ma scolarité et par des personnes de mon entourage. Je faisais des études littéraires lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la littérature et au cinéma français. Pendant mes études en échange à l’université de Provence, j’ai été initiée à l’analyse des interactions verbales et à la recherche sur l’utilisation de la langue dans des situations orales quotidiennes. Je suis restée sur cette voie. Ma thèse de doctorat portait sur les entretiens télévisés de politiciens français.

Quelles sont les tendances ou les orientations actuelles de la recherche sur le français ?

Au département de français, nous mettons l’accent sur le français contemporain et sur les situations d’utilisation de la langue française, ainsi que sur les situations multilingues. L'un des thèmes de recherche actuels est la traduction dans le journalisme : Léa Huotari, chercheuse postdoctorale, étudie la manière dont les journalistes des médias finlandais utilisent les sources en langue étrangère.

Les applications pour l’apprentissage des langues qui exploitent l'intelligence artificielle nous intéressent également. Nous étudions aussi les processus d'écriture des scripteurs multilingues, c'est-à-dire la manière dont les Finlandais écrivent dans différentes langues. Les processus d'écriture sont visualisés à l'aide d'un programme informatique qui a été développé dans un groupe de recherche internationale auquel nous avons participé. Un autre sujet de recherche est l'utilisation d'un robot social dans l'enseignement du français et de l'anglais. À l’aide du robot, les écoliers apprennent à parler avec confiance. Le robot est particulièrement utile pour l'apprentissage de la conversation et de la prononciation et il rend l'apprentissage amusant.

Quel sera votre thème de recherche suivant ?

En ce moment, je vais poursuivre le projet sur l’interaction robot-apprenant. Nous avons intégré ChatGPT dans notre robot. Nous étudierons à présent la manière dont le robot fonctionne dans l’enseignement professionnel des langues avec différents types de tâches. Deuxièmement, je commencerai à étudier la problématique liée à la sécurité linguistique.

Texte: Rosa Lampela
Traduction: Marjut Johansson

Created 11.09.2024 | Updated 11.09.2024